| Chère Mémoire,
L’impression qu’il m’a fait la première fois ne m’a pas laissé de marbre, non, j’ai su que quelque chose en moi avait changé, aujourd’hui encore, je ne sais pas si c’est pour le pire, ou le meilleur.
Comment l’ai-je rencontré ? Un café, rien de plus normal à mes yeux, il était là, assis noblement sur une chaise. Son corps projetait une atmosphère dérangeante, à la fois agréable et insolite, dont je n’arrive toujours pas à mettre le doigt dessus.
Je n’ai pas pu empêcher mes yeux de le fixer, pendant de longues minutes que cela en devenait interminable.
Habituellement, on sait pertinemment quand une personne nous observe — surtout de la manière dont je le faisais : sans aucune retenue — et quand cela arrive, on tente de regarder à notre tour, de dissuader l’adversaire, comme un jeu de regard, une bataille qu’on sait perdue d’avance. Mais lui, il n’a rien fait : une jambe repliée sur une autre, un jus d’orange — oui, un jus d’orange — entre la main, ses yeux ne fixaient absolument rien.
J’ai eu à constater à un moment un sourire belliqueux qui périt rapidement, était-ce mon imagination ?
Et en trente minutes, il m’avait fait oublier le monde entier : les voitures qui défilant sur la route d’en face, le picorement des pigeons sur le trottoir, les cris agaçant des enfants à la table voisine. J’avais supprimé absolument tous les sons de ma tête.
Puis il a finalement dressé les yeux sur moi. Pétrifiée, je n’ai pas réussi à lever le regard sur sa personne. Et dans l’élégance il a levé sa jambe précédemment agenouillée sur l’autre, empoigné son verre pour se rehausser de sa place, comme si le temps s’était écoulé, qu’il avait soudain eu une urgence, ou quelque chose comme ça.
Je ne sais pas pourquoi, mais d’une certaine façon, j’ai été déçue qu’il parte, une partie seulement, je me suis bien ressaisi, enfin ce que j’aurais fait s’il n’était pas venu spécialement vers moi ! C’est à ce moment-là que j’ai éprouvé une douleur à respirer, et un point dans le dos, l’angoisse ?
Il a reposé son verre comme si de rien n’était et s’est rassis juste sur la chaise d’en face, il m’a alors dressé un sourire qui lui fut rendu et a annoncé que j’étais « intéressante » ! Qu’est-ce qu’il pouvait bien trouver d’intéressant chez moi ? C’est la première chose que je me suis dite avant que lui-même me pose la question, comme si ce qu’il disait était rhétorique — il n’a jamais répondu cela dit —.
J’ai alors appris plein de choses sur lui, et c’est avec facilité qu’il menait la conversation – que trop bien même – il a énoncé les choses communes — avec beaucoup d’étrangeté — comme son nom qui était John Hanson, et qu’il était éperdument à la recherche de nouveauté.
Et alors que tout allait à bon train, c’est là que c’est devenu pour le moins étrange. En réalité, il s’appelle Modnelos, de ce qu’il se souvient de son ancienne vie comme il a apparemment perdu la mémoire — mais il ne sait pas exactement quand —, qu’il est beaucoup trop vieux pour savoir quel âge il a et qu’il est pansexuel – je n’avais jamais, jusqu’à ce jour, rencontré de pansexuel – sous ses dires, j’ai finalement cru bon de le croire, et je me suis souvenu de cette douleur persistante dans mon dos qui réapparut avec un souffle court. Sous ce malaise — était-ce un malaise ? — il a bizarrement voulu me soulager, avec son sourire attrayant.
La discussion continua et j’ai finalement gobé tout ce qu’il me disait, non parce qu’il est peut-être un psychopathe qui veut me tuer, absolument pas d’ailleurs ! Seulement quelque chose d’étrange fait que je le crois, mais je n’arrive pas encore à mettre le doigt dessus, qu’est-ce.
Finalement, je me suis amusé à employer son terme : Être supérieur, ce qu’il est sans doute, ou que je pense qu’il est. Ma mémoire commence à devenir floue. Amusant de penser qu’une telle personne n’a jamais été mariée ou même en couple, cet aspect libertin qu’il adopte est assez rassurant… Je ne sais pas pourquoi.
Ma main a fini par m’aider à accoudé ma tête avant qu’elle ne tombe, mais avec mon sourire béat, j’ai continué à l’écouter comme s’il était à lui tout seul une histoire, malgré que j’étais concentré, j’ai commencé à m’endormir — mais je n’ai pas fermé l’œil ! – et il ne s’est absolument pas senti vexé, il a simplement tapoté mes joues avec douceur pour continuer à parler, et bizarrement, je n’ai pas trouvé ça surprenant qu’il me vivifie de cette manière, c’est comme si je m’en fichais.
J’ai continué d’apprendre ce qu’il faisait dans la vie, il avait drôlement confiance en moi pour me dire qu’il était prêteur sur gages, en plus de son travail au cirque, dont ce dernier lui appartenait entièrement. Alors c’était donc un Magicien, je penserais un jour à lui quand je passerais au Centre Ville, oui, parce qu’il habite dans le Centre Ville de Colossus City, pas étonnant au vu qu’il semble florissant et fortuné.
Soudain, prise de déconcentration j’ai pu observer à ses côtés une canne, bien qu’elle avait un aspect ordinaire, il s’est mis à l’envelopper de secret, je n’ai bien sûr pas demandé plus, il partageait déjà tellement avec une inconnue comme moi.
Et de plus en plus, j’ai eu envie de dormir, j’avais beau lutté mes yeux s’empêchaient de plus en plus à rester ouvert, et bon dieu ce que j’aurais donné pour avoir des calmants, au vu de la douleur qui percutait seconde par seconde mon dos. Cette fois-ci, il m’a pris par le coup et bien que j’étais assis, je me sentais relevé ! Il s’excusa, pourquoi ?
C’est sans doute à ce moment-là que je compris : non loin de là où je me trouvais en réalité se trouvait la petite terrasse de café où je pensais être — compliqué, hein ? – couchée sur le sol, je n’avais fait que rêver d’une alternative à mon infortune. J’avais sûrement eu un accident, la voiture sur ma droite, dans l’attente d’un châtiment le montrait bien. Je comprenais maintenant ce silence de mort, pourquoi le son inépuisable des véhicules s’était considérablement éteint, que les cris des enfants avaient disparu, pas mal de monde avait dû être choqué.
Alors que je comprenais ma situation, que mon corps était allongé sur le sol, la colonne vertébrale déchirée, mon souffle haletant, je me suis mis à chercher John, que je trouvais à ma droite, sa main retenait ma nuque comme si elle allait se briser en mille morceaux. Et il avait continué à parler, je m’aperçus que je n’étais pas la seule blessée, John aussi, apercevant un débris de vitre planté dans son dos, vitre qui se retira rapidement. À croire qu’il avait essayé de me sauver. Puis le sommeil me vint et je sus réellement que j’étais morte.
Ceci est MON témoignage, ceci est MA mémoire.
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